Malgré des cours intéressants en 2022, les céréaliers de l’AGPB alertent sur la campagne à venir, alors que les prix des céréales redescendent et que les charges demeurent à des niveaux jamais atteints. À ces difficultés s’ajoutent des décisions politiques ou administratives incohérentes avec l’enjeu de souveraineté alimentaire, comme sur les néonicotinoïdes ou les dates de semis d’orge de printemps, déplore le syndicat.

Philippe Heusele, secrétaire général de l'AGPB (à droite) et Eric Thirouin, président (à gauche) ont présenté le 25 janvier les inquiétudes et les orientations des céréaliers pour 2023.Philippe Heusele, secrétaire général de l'AGPB (à droite) et Eric Thirouin, président (à gauche) ont présenté le 25 janvier les inquiétudes et les orientations des céréaliers pour 2023. (©Terre-net Média)

Avec la guerre en Ukraine, « les cours sont montés très hauts, puis redescendus presque au niveau d’il y a un an », à savoir autour de 270 €/t rendu Rouen, a expliqué Philippe Heusèle, secrétaire général de l’AGPB, le 25 janvier. Si malgré la flambée des charges, à laquelle s’est ajoutée la sécheresse de l’été, les impacts ont pu être limités en 2022, avec des prix rémunérateurs, en revanche pour 2023, « on est dans une situation d’extrême inquiétude », insiste Eric Thirouin, président de l’AGPB.

Des coûts de production non couverts en 2023

En ce début d'année, les charges continuent effectivement à augmenter, en dehors des engrais. D’après une étude publiée par Arvalis en décembre, l’augmentation des charges serait de l’ordre de 380 à 580 € supplémentaires par hectare par rapport 2022, pour atteindre 2 300 à 2 500 euros par hectare. « Pour un rendement de 8 t/ha en blé tendre, le coût de production se situerait entre 287 et 312 €/t », ajoute Eric Thirouin. Le niveau de l’aide étant à 27 €/t, « le seuil de commercialisation serait autour de 260-284 €/t », précise-t-il, alors que le prix de la tonne de blé, départ ferme, est aujourd’hui entre 250 et 255 €/t. « Pour la récolte de l’été 2023, les prix ne couvrent pas les coûts de production », déplore-t-il, et la situation serait encore plus dramatique en cas de rendement inférieur à 8 t/ha.

Engrais : une victoire trop tardive sur les taxes douanières

Face aux difficultés d’approvisionnement en engrais, l’AGPB s’est mobilisée l’année dernière pour demander à Bruxelles la suppression des taxes douanières et anti-dumping. Alors qu’il y a 10 mois, l’unité d’azote coûtait 0,70 €, elle est passée à 3 € au cours de l’année puis se stabilise aujourd’hui à 2,2 €. La guerre en Ukraine a en effet privé en partie l’Europe de ses approvisionnements (provenant en grande partie de Russie et d’Ukraine), et pour maîtriser la flambée des cours, « il aurait fallu importer plus et sans taxe », explique Philippe Heusèle.

En décembre dernier, le conseil des ministres européens a acté la suppression pour six mois des taxes douanières sur les engrais (taxe à 6,5 %), mais pas celle de la taxe anti-dumping, cependant « cette suspension arrive en fin de course », regrette le secrétaire général de l’AGPB, la plupart des agriculteurs s’étant déjà couverts. Cependant, certains ont choisi de faire des impasses, puisque qu’on relève par rapport à l’année passée une baisse de - 8 % de la demande en azote, de - 23 % pour le phosphore et de - 24 % pour le potassium, faisant craindre pour le potentiel de production.

Des décisions politiques incohérentes

Au-delà des engrais, ce sont aussi les diverses décisions politiques qui font craindre une diminution de la production française en grandes cultures, alerte Eric Thirouin, qui évoque la fin de la dérogation sur les néonicotinoïdes suite la mobilisation d’ONG à Bruxelles. Un processus qui semble se renouveler pour la HVE, « alors que les agriculteurs sont rentrés dans la démarche de progrès, que le cahier des charges a été durci », déplore le président de l’AGPB.

Dans un autre domaine, alors que l’AGPB demandait depuis août dernier des précisions concernant les dates de semis d’orge de printemps qui, en raison du changement climatique, est semée de plus en plus tôt par les agriculteurs, la réponse est tombée aujourd’hui : pour être considérée comme culture de printemps dans le cadre de la nouvelle Pac, l’orge doit être semée à partir du 1er janvier. « Les dates sont simplement là pour faciliter les contrôles et ne reconnaissent pas l’agronomie », commente Eric Thirouin qui juge cette décision incompréhensible.  

Alors que la France est l’un des cinq pays exportateurs de blé tendre au monde, et que l’autosuffisance de l’Europe en céréales est tout juste à l’équilibre, le président de l’AGPB s’interroge sur la volonté de renforcer la souveraineté alimentaire et de contribuer à la paix (dans les pays dépendants des importations de blé), face à ces signaux politiques contradictoires. « On attend du ministre de la fermeté sur tous ces enjeux », insiste-t-il.

Les céréaliers de l’AGPB restent, en attendant, « droits dans leur bottes », sur la ligne du « produire plus et mieux », prêts à contribuer activement à la planification écologique. « Fiers de vous nourrir » sera, d’ailleurs, la thématique choisie par le syndicat sur son stand au prochain Salon de l’agriculture, indique Eric Thirouin.