Parce que l'estimation de la valeur d'une ferme est aussi importante, pour sa transmission, que complexe, il est essentiel de donner des repères aux cédant(e)s. Exemple en Auvergne-Rhône-Alpes, en élevage laitier, avec l'observatoire du CER France selon les territoires et leurs atouts et contraintes.
Une fois l'exploitation estimée, les cédant(e)s peuvent s'engager pleinement dans la transmission.(©Adobe Stock )
À combien puis-je céder ma ferme ? C'est l'une voire la question principale que se posent les agriculteurs quand ils envisagent de transmettre leur exploitation. Or estimer la valeur d'une ferme n'est pas facile entre celle que lui attribue le cédant, influencée par de nombreux paramètres, ce qu'elle vaut réellement dans l'absolu et la réalité du marché, qui n'est pas toujours simple de connaître. Or ce chiffre est déterminant pour la réussite de la cession. Alors durant deux ans, les CER France ont réalisé un observatoire des pratiques d'évaluation d'entreprises agricoles.
L'objectif est de donner, aux exploitants agricoles, des repères pour les aider à évaluer la valeur de leur exploitation afin qu'ils puissent « s'engager complètement dans leur projet de transmission », insiste Marie-Françoise Vernet, représentante des CER France et présidente dans la Loire. Si ce travail concerne les bovins laitiers en Auvergne-Rhône-Alpes, il pourrait servir d'exemple pour d'autres productions et régions.
Présentée au Sommet de l'élevage, l'analyse précise en préambule : « en Aura, 55 % des exploitants ont plus de 50 ans. 23 % sont même âgés de plus de 60 ans, et la plupart n'ont pas encore envisagé de solution pour la transmission de leur ferme : 35 % ne savent pas ce qu'ils vont faire, 33 % ne prévoient pas de cesser leur activité dans l'immédiat et 8 % des structures pourraient disparaître, partir à l'agrandissement ou pour des usages non-agricoles. »
En région Aura, 23 % des agriculteurs ont plus de 60 ans.Et peu envisagent de solution pour transmettre leur ferme.
« Toute évaluation de la valeur d'une entreprise repose obligatoirement sur un diagnostic préalable, et nécessite la combinaison de plusieurs méthodes économiques et patrimoniales (selon le cadre normatif DGFIP), pour pouvoir approcher un niveau de risque en fonction du contexte », indiquent ces auteurs, apportant des précisions sur :
- la méthode économique utilisée : approche habituelle du bénéfice moyen sur l'échantillon statistique de 4 900 élevages bovins lait, en moyenne quatre ans (2017 à 2020) après rémunération du travail à 1,5 Smic net/UTHF et un taux de capitalisation entre 7 et 11 % (équivaut au délai de retour sur investissement, la rentabilité étant relativement longue dans la filière étudiée) ;
- la méthode patrimoniale employée : elle provient des moyennes de l'observatoire des études d'évaluation d'exploitations des CER France en Auvergne-Rhône-Alpes (400 au total menées pendant cinq ans par 70 conseillers).
Au niveau des résultats, on observe au global :
- une dispersion des valeurs patrimoniales (voir graphique ci-dessous) mais « attention cependant à ne pas se laisser tromper par des abaques simplistes », nuance Vincent Prévost, conseiller de gestion et patrimoine au CER France Haute-Loire.
- dans 86 % des cas : une valeur patrimoniale > la valeur des capitaux propres.
- et dans 50 % : une valeur patrimoniale comprise entre 1,1 et 1,9 fois les capitaux propres.
(©CER France) Pour mieux comprendre :
Bilan d'une exploitation agricole avec ce que représente la valeur patrimoniale. (©CER France)
« Ainsi, pour 100 000 € de capitaux propres, la valeur patrimoniale varie entre 100 000 et 300 000 €. D'où la nécessite d'avoir une vision plus individualisée, car la valeur patrimoniale n'est pas seulement égale aux capitaux propres multipliés par un facteur », poursuit le spécialiste.
Six terroirs ont été identifiés pour effectuer un diagnostic plus poussé avec l'appui du Fidocl (Fédération interdépartementale des entreprises de conseil élevage du sud-est en charge du contrôle laitier en particulier).
- Lait de plaine (Ain et Isère surtout, puis Drôme)
(©CER France)
Quelques indications : le niveau de risque se visualise sur la courbe jaune ; une valeur économique à 7 % équivaut à un retour sur investissement de 14 ans.
Valeur économique moyenne des exploitations : 79 k€.
Pour 25 % des fermes (quart type supérieur) : valeur économique > 256 k€ (115 k€/UTHF).
Pour 39 % : valeur économique négative. « Ce qui signifie qu'il n'y a pas de rémunération des capitaux à investir dans la transmission », explique Romain Lecomte, responsable des activités de conseil au CER France Auvergne-Rhône-Alpes.
Retour sur investissement : 14 ans en moyenne.
Les + : exploitations modernes et attractives, souvent situées à proximité de zones économiques urbaines.
Les - : baisse des vocations et de la densité laitière à terme.
- Lait de montagne d'Auvergne (Haute-Loire surtout, puis Puy-de-Dôme et Cantal)
(©CER France)
Valeur économique moyenne des exploitations : proche de 0 k€.
3/4 des fermes sont concernées. « Il est difficile de donner une valeur économique moyenne tant celles-ci sont dispersées », fait remarque l'expert.
Pour 25 % des fermes (quart type supérieur) : valeur économique > 26 k€ (14 k€/UTHF).
« Cela montre que certaines structures s'en sortent malgré tout. »
Retour sur investissement long : 15 à 20 ans.
Les + : élevages modernes et de taille modeste permettant de s'installer et/ou s'agrandir.
Les - : contraintes économiques et climatiques fortes accompagnées de coûts de production élevés et d'une érosion de la rentabilité. La dynamique laitière est en perte de vitesse, d'où une diminution des installations malgré les opportunités précédemment citées.
- Lait de montagne de Rhône-Alpes (Loire et Rhône surtout, puis Ardèche et Isère)
(©CER France)
Valeur économique moyenne des exploitations : proche de 0 k€.
(comme en Auvergne, mais on observe un peu moins de valeurs négatives).
Pour 25 % des fermes (quart type supérieur) : valeur économique > 79 k€ (41 k€/UTHF).
Les + : zones rurales dynamiques avec une densité laitière importante.
Les - : concurrence foncière.
- Lait de Savoie AOP et IGP (Savoie et Haute-Savoie)
(©CER France)
Valeur économique moyenne des exploitations : 80 k€.
Pour 25 % des fermes (quart type supérieur) : valeur économique > 258 k€ (110 k€/UTHF).
Les + : zone dynamique, production laitière attractive.
Les - : coût du foncier et de l'immobilité.
- Lait d'Auvergne AOP (Puy-de-Dôme et Cantal surtout, puis Haute-Loire)
(©CER France)
Valeur économique moyenne des exploitations : proche de 0 k€ (65 % de valeurs négatives).
Pour 25 % des fermes (quart type supérieur) : valeur économique > 56 k€ (29 k€/UTHF).
Les + : filière spécialisée, réseau dense d'exploitations modernes, associé à une valorisation croissante des produits (volume et prix).
Les - : gros besoin de main-d'œuvre (salariée + bénévole), trésorerie fragile.
« Malgré une bonne valorisation du lait, la main-d'œuvre mobilisée pèse sur la valeur économique, qui est bien inférieure à la valeur patrimoniale. Ces fermes ont beaucoup investi récemment, ce qui altère la valeur économique. Il faut veiller particulièrement au taux d'endettement et aux comptes courants associés. »
- Lait bio (tous les départements)
(©CER France)
Valeur économique moyenne des exploitations : 39 k€.
Pour 25 % des fermes (quart type supérieur) : valeur économique > 191 k€ (93 k€/UTHF).
Les + : mode de production attractif, atouts d'une filière en croissance.
Les - : marché incertain.
Il peut atteindre un rapport de 1 sur 3 (1 sur 6 en bovins viande). Pour cela, les conseillers du CER France recommandent de prendre en compte : « le bas du bilan de l'entreprise, l'actif et le passif pour distinguer deux fermes de même taille, le potentiel de reprenabilité (endettement actuel et potentiel versus résultat) ».
« La valeur de reprise optimale résulte de la négociation, sur laquelle se sont mis d'accord cédant(s) et repreneur(s) », concluent Vincent Prévost et Romain Lecomte.
Mais le prix n'est pas le seul critère d'une cession. Les cédant(e)s doivent se poser 4 questions : combien, quoi, quand, comment transmettre ? « Le moment de la cession dépend de l'âge mais aussi de paramètres fiscaux, comme la TVA, détaillent les spécialistes. Quant aux biens cédés, il peut être parfois judicieux de ne pas tout vendre d'un coup. »
Des dispositifs existent pour réduire le coût de la reprise d'exploitation : la donation (cf. Pacte Dutreil), garder le foncier et/ou les bâtiments (GFA puis location par exemple), faire appel à des investisseurs (GFA mutualistes, Terre de liens, portage foncier, etc.). « Des biens peuvent se transmettre à titre gratuit et d'autres à titre onéreux », mettent-ils en avant. Ils alertent sur les constructions sur sol d'autrui, qui peuvent être source de problèmes en cas de vente, et préconisent « de racheter les terres sous bâtiments avant toute cession ».
Attention à maintenir la rentabilité de l'exploitation.
Mais surtout, il faut anticiper au moins 10 ans avant ! Ce qui signifie préserver la rentabilité de la structure, donc son attractivité, raisonner les investissements en fonction notamment du projet du repreneur (de plus en plus sont hors cadre familial et même non issus du milieu agricole alors les changements de production sont plus fréquents), effectuer les démarches juridiques et fiscales nécessaires. « S'y prendre tôt offre plus de latitude pour rapprocher valeur patrimoniale et économique, par exemple en louant une partie des biens au lieu de les vendre », soulignent les experts. Autres conseils : améliorer l'EBE, optimiser le système au niveau des performances comme du travail.
Mieux vaut donc se faire accompagner à chaque étape clé :
1- la réflexion : pour savoir s'il est possible d'installer un agriculteur ? Puis établir un plan d'actions en fonction de l'âge de cessation d'activité ;
2- la préparation : afin de faire un diagnostic de l'exploitation, déterminer sa valeur, voir comment intégrer le projet du repreneur ;
3- la transmission : il s'agit de préparer l'arrivée du successeur, via un stage de parrainage entre autres, puis de négocier et formaliser la reprise.