Utilisées dans plusieurs pays, les stratégies de lutte contre les ravageurs dites de « push & pull » donnent de bons résultats. Les équipes de Terres Inovia s'intéressent alors à ces techniques pour les transposer dans le cadre de la gestion des ravageurs d'automne du colza. À l'occasion des rencontres techniques du 7 décembre dernier, Michaël Geloen détaille les premiers résultats d'essais obtenus.

Grosse altise sur colzaAvec la stratégie de "push & pull", Terres Inovia cherche à diluer la pression des altises du colza sur un territoire donné. (©Terres Inovia)

En quoi consiste le «  push & pull » ? « C'est une stratégie de lutte qui combine un répulsif et un attractif. Cette méthode a été imaginée par Pyke et al. en 1987, dans le cadre d'une étude menée en Australie pour lutter contre une chenille qui venait dévorer les feuilles de coton (Helicoverpa spp), présente Michaël Geloen, ingénieur développement chez Terres Inovia pour la région Bourgogne-Franche-Comté. Approfondi depuis, le concept est utilisé dans différents pays du monde : en Chine pour lutter contre les  pucerons sur cultures maraîchères ou au Congo, pour lutter, là encore, contre les pucerons sur banane, etc.

Cas d'école du « push and pull »

Michaël Geloen cite également l'exemple de la lutte contre la pyrale et les strigas (herbe parasite) sur maïs en Afrique : « le desmodium, légumineuse placée en inter-rang dans une parcelle de maïs, va émettre des substances chimiques qui attirent les auxiliaires de cultures (qui vont consommer les pyrales), mais aussi des substances chimiques de détresse obligeant la pyrale à se détourner du maïs et aller vers l'herbe à éléphant placée en bordure de la parcelle. Cette herbe à éléphant a, elle aussi, plusieurs objectifs : « attirer les insectes auxiliaires et émettre des substances collantes sur la tige, qui vont bloquer les larves de pyrale. »

Au-delà de son action sur la pyrale, le desmodium joue également un rôle dans la lutte contre les strigas : en effet, la légumineuse va « émettre des substances dans le sol qui vont stimuler la levée de l'herbe parasite et d'un autre côté, inhiber sa croissance racinaire. Cette plante a, en quelque sorte, un effet "faux-semis" ».

Quelle utilisation pour le colza ? 

Les équipes de Terres Inovia étudient alors, depuis quelques années, cette stratégie de « push & pull » pour essayer de lutter contre la grosse altise sur colza. Les premiers essais ont été lancés dans le cadre du projet R2D2 sur les plateaux de Bourgogne dans l'Yonne.

« L'idée étant de se servir des intercultures pour attirer les insectes en dehors des parcelles de colza. » Les équipes cherchent ainsi à « diluer la pression des altises sur le territoire, en utilisant aussi la stratégie de colza robuste, avec des plantes compagnes notamment. Le fonctionnement reste flou aujourd'hui, mais les essais ont montré une pression moindre des larves d'altises dans les colzas associés avec des légumineuses », précise Michaël Geloen. La destruction des intercultures est pilotée via des Berlèse d'automne : « elle peut être déclenchée dès que les larves sont au pic L1-L2. Cela va limiter les émergences des adultes au printemps ».

Dans les essais réalisés, la navette et le radis chinois apparaissent comme les espèces d'interculture les plus attractives pour les altises, à l'inverse la moutarde blanche et la cameline sont les moins attractives. Les résultats diffèrent selon les cas en ce qui concerne la moutarde brune et le colza fourrager. Retrouvez ci-dessous une synthèse des observations du projet R2D2 sur le sujet : 

Synthèse des observations(©Projet R2D2)

Avec cette stratégie, l'institut technique a dénombré, en 2021/2022, entre 0 et 2 larves/plante dans les parcelles de colza et entre 5,8 et 17 larves/plantes dans les intercultures pour le secteur 1 du projet R2D2 ; et entre 1,1 et 5 larves/plante sur colza et entre 5,8 et 14 larves/plante dans les couverts pour le secteur 2. Précisions pour le secteur 1 par exemple : « les équipes de l'institut technique ont suivi les principes du colza robuste, à savoir un semis début août avant une prévision de pluie (quand c'est possible...), en semis direct pour conserver la fraîcheur, avec des plantes compagnes et de l'engrais localisé. À côté, les intercultures ont également été implantées début août en semis direct (radis chinois + navette : 15 pieds/m²). Leur destruction s'est faite par un rouleau sur le gel fin décembre et une application de glyphosate avant le semis de l'orge de printemps suivante en février ».

À partir de ces premiers essais, Terres Inovia liste quelques points clés pour que la stratégie de push & pull fonctionne : 

  • « Privilégier le radis chinois pour sa facilité de destruction par rapport à la navette »; 
  • « Semer au moins 20 pieds de radis chinois/m² en interculture avant culture de printemps pour jouer son rôle d’attractivité » ;
  • « Répartir les parcelles sur le territoire, si possible à côté d’anciennes parcelles de colza » ; 
  • « Essayer de semer les colzas et les crucifères en interculture à la même période ». 
Encore des questions en suspens

À noter que ces essais ont aussi montré des choses intéressantes sur charançon du bourgeon terminal. L'institut étend ses recherches sur le territoire français avec le projet Adaptacol², lancé en août 2022. L'objectif étant de répondre à ces différentes questions encore en suspens : « quelle proportion faut-il entre les surfaces de colza et les surfaces d'interculture ? Y a-t-il une surface minimale nécessaire des intercultures pour attirer les insectes d’automne ? Y a-t-il un effet d’éloignement entre les colzas et l’interculture ? Y a-t-il une différence entre les captures de grosse altise et de charançon du bourgeon terminal entre colza et intercultures ? L’émergence des adultes est-elle impactée par la destruction des intercultures ? ». 

Enfin, l'institut technique s'intéresse également aux stratégie de  « push & pull » pour d'autres cultures, notamment dans le cadre de la lutte contre la bruche de la féverole. « Une équipe de chercheurs en Pologne a, en effet, montré que l’association de la phacélie aux cultures de féverole avait tendance à réduire le taux de grains bruchés à la récolte (Wnuk & Wojciechowicz- Zytko, 2013). Dans certains situations, les résultats sont significatifs avec une réduction du taux de grains bruchés jusqu'à - 30 %. À l'inverse, il a été démontré que l’association de moutarde blanche en inter-rangs avec la féverole pouvait augmenter significativement le nombre de bruches capturées sur les parcelles par rapport à un témoin en culture pure (Binias et al., 2015) ». L'institut technique imagine alors un dispositif avec de la phacélie en inter-rangs des parcelles de féverole et en bordure, de la moutarde blanche. Des essais doivent être encore mis en place pour déterminer les densités nécessaires... Et un projet de recherche, Feverpro, est d'ailleurs en cours à ce sujet chez nos voisins belges. À suivre donc.