Dans le podcast du Space, l’agroéconomiste Jean-Marie Séronie revient sur les causes de la hausse des prix des matières premières, leurs conséquences sur le secteur de l’élevage et les perspectives pour les mois qui viennent.
Pour Jean-Marie Séronie, la sécheresse a davantage posé de difficultés à l'élevage bovin cette année que la hausse des prix de l'aliment. (©Terre-net Média)
Fin novembre, le podcast « Les voix de l’élevage » du Space consacrait un numéro à l’augmentation des prix des matières premières : l’occasion, pour l’agroéconomiste Jean-Marie Séronie, de revenir sur leurs conséquences sur le secteur de l’élevage.
Il rappelle que la forte hausse des prix des matières premières agricoles a commencé dès l’automne 2021, avant l’agression de l’Ukraine par la Russie. Ceci s’explique non pas par le Covid – qui a « surtout joué sur les matières premières non agricoles » au moment du redémarrage de l’économie chinoise – mais plutôt par la baisse des stocks, notamment céréaliers, chez les principaux exportateurs mondiaux.
De fait, « leurs stocks baissent régulièrement depuis deux ou trois ans », et pendant que la demande augmente, la production n’augmente pas aussi vite, si bien que le marché global est plus tendu. « On a la même chose sur le lait et les poudres. Les Chinois ont beaucoup acheté en 2021, ce qui a tendu les marchés », commente l’expert.
La guerre en Ukraine est venue accentuer cette tension, « mais ça n’a pas été la catastrophe que l’on pouvait craindre en début d’année » : le conflit a réduit les exports depuis la Mer noire, la logistique s’est grippée, mais « la Russie a continué à exporter presque autant qu’avant ». L’Ukraine a mis en place des circuits d’export par voie ferroviaire et le corridor sécurisé a de nouveau permis les exports par bateau à partir du 1er août.
Il souligne « la hausse considérable du prix de l’énergie », liée à la guerre et à la hausse du prix du gaz, qui a directement provoqué la flambée des engrais azotés. Elle a aussi fait monter en flèche les coûts des industries de transformation, d’où la forte augmentation des prix alimentaires côté consommateurs.
Jean-Marie Séronie pointe des conséquences variables pour les éleveurs : « la hausse du prix de l’aliment ne m’impacte pas tant que ça si je suis éleveur laitier ou producteur de viande bovine. Si je suis éleveur de porcs ou de volailles, la hausse des céréales m’impacte directement car ça représente 70 à 75 % de mes coûts de production si je ne suis moi-même pas producteur de céréales ! ».
Plus que la hausse des prix des matières premières, c’est surtout la sécheresse qui aura joué en élevage bovin : « si je suis producteur de viande bovine dans le Massif central, où la très forte sécheresse a généré un manque d’herbe, j’ai dû alimenter mes animaux par des fourrages achetés ou que j’avais stockés, pas par le pâturage comme je le fais habituellement ».
Revenant sur la hausse du prix de l’aliment, l’agroéconomiste nuance : « les prix de vente des produits animaux ont aussi beaucoup augmenté et au bout du bout, la marge a augmenté ! Malgré une hausse du prix des matières premières achetées plus importante que celle de mon prix de vente, ma marge peut augmenter, parce que mes charges sont largement inférieures à mes ventes. »
« Là, tout de suite, la situation économique en élevage s’améliore, elle est plus favorable cette année par rapport à l’année dernière, note Jean-Marie Séronie. On n’a jamais vendu la viande bovine au prix où on la vend aujourd’hui ! En Corrèze, par exemple, dans le grand bassin allaitant, les résultats sont bons et le prix de la viande a augmenté de près de 40 % ».
Il souligne en revanche les inquiétudes pour les mois qui viennent : « En gros, en 2022, on a vendu des produits agricoles au prix de 2022 et on les avait fabriqués avec les charges de 2021 (avant, notamment, la hausse des coûts des engrais). Aujourd’hui beaucoup d’agriculteurs ont peur : ils ont acheté leurs charges à des prix élevés et se disent "si dans quelques mois on ne vend pas nos produits aussi cher que ce qu’on vend aujourd’hui, on va se faire étouffer" ».
« C’est classique, modère-t-il : quand les années ne sont pas mauvaises, ou bonnes, on pense à la suivante et on a toujours peur que ça soit plus compliqué. C’est sûr que si demain les cours se cassent la figure, il y aura de réelles difficultés économiques. Mais les indications de prix pour la campagne prochaine sont bonnes ».