Véronique Le Floc’h, éleveuse dans le Finistère, a été élue présidente de la Coordination rurale la semaine dernière. Valorisation de la production, bien-être des agriculteurs, loi d’orientation, représentation syndicale : elle évoque les combats qui seront à mener dans les mois à venir.
Véronique Le Floc'h, nouvelle présidente de la Coordination rurale. (©Coordination rurale)
Terre-net : Est-ce que vous pourriez vous présenter ?Véronique Le Floc’h : Je suis fille d’agriculteurs du nord Finistère. J’ai une formation agricole après des études générales, plutôt spécialisées en économie rurale. Après un parcours de banquière pendant 10 ans, j’ai repris une exploitation avec mon mari en 2007, on exploite en lait bio et viande bovine sur une ferme de 180 hectares.
TN : Quelles sont les premières revendications que vous allez porter en tant que présidente de la Coordination rurale ?V.L.F. : J’ai toujours défendu le bien-être des agriculteurs, car la situation n’est ni viable ni vivable pour beaucoup d’entre nous. C’est peut-être anecdotique ou marginal, mais l’une des premières revendications sera d’insister sur le paiement de tout ce qui est promis : aides pour la volaille, plan de résilience qui n’est pas encore totalement versé… Beaucoup d’agriculteurs sont dans l’attente des fonds promis ! Le « quoiqu’il en coûte » mis en place pendant le Covid pour la restauration ou d’autres domaines, ça tarde pour l’agriculture. Avec la grippe aviaire, le manque à gagner et la concurrence qui s’installe avec les importations, les accords de libre-échange, tout ça perturbe et amène les agriculteurs à se demander si leur existence est légitime. Or, la souveraineté alimentaire ne peut pas se faire sans nous !
TN : Comment souhaitez-vous vous impliquer dans la construction de la future loi d’orientation agricole ?V.L.F. : Nous aurons des propositions qui permettront de réunir toutes les conditions pour que toutes les installations se fassent sans souci pour l’avenir, c’est-à-dire pouvoir s’installer sans être à la merci de l’amont et de l’aval, retrouver plus d’autonomie et de liberté alors que l’on est plutôt dans un système où l’intégration et la financiarisation l’emportent. Les agriculteurs sont sous domination économique, et la liberté ne leur est plus possible, il faut que l’on reprenne le combat, notamment au niveau des organisations de producteurs, à travers des OP non pas verticales comme l’a longtemps défendu la FNSEA, mais transversales.
Il faut plus de justice vis-à-vis des agriculteurs
Parmi les actions à entreprendre, il faut justement faire en sorte que les agriculteurs puissent rester maîtres de leurs outils, car j’ai vu trop de cas où la dominance est tellement forte que la discussion n’est plus possible, et c’est ça qui, chez certains, conduit au suicide. Alors que si ceux à l’origine de cette situation qui emmène à la liquidation étaient condamnables, on travaillerait de façon plus sereine, et ceux qui profitent de cette situation mettraient davantage de gants. Il faut plus de justice vis-à-vis des agriculteurs pour qu’après une carrière, ils ne se retrouvent pas sans rien. Nous voulons une meilleure protection des agriculteurs, de leur patrimoine et de l’exercice de leur métier.
TN : Qu’en est-il de la valorisation de la production ?V.L.F. : Il faut obtenir la juste valeur de nos produits, et là ce sont toutes les négociations, surtout avec l’aval, qui doivent être prioritaires. Pour le moment, les lois Egalim n’ont rien changé, et c’est la faute des industriels et des coopératives. Quand Dominique Chargé (ndlr : président de la Coopération agricole) dit que 65 % des coopératives ont intégré la clause de révisions des prix, ce n’est pas entendable ! Ils ont anticipé les hausses à venir, mais les hausses devaient d’abord être passées, et c’est ensuite qu’il faut négocier ! Les industriels font comme s’ils nous avaient servi, alors qu’il n’en est rien. Nous aussi, l’énergie, on la subit à la hausse, on a des producteurs qui font coef 3, 4 en énergie, mais qui en parle dans la profession agricole ? Alors que l’on ne pourra pas émarger aux aides.
Les lois Egalim n’ont rien changé, et c’est la faute des industriels et des coopératives
On met tout en œuvre pour que les lois soient appliquées, mais c’est un jeu de dupe entre la distribution et les industriels, qui se livrent une guerre commerciale dont les principales victimes sont les consommateurs d’un côté et les producteurs de l’autre, mais ils n’en mesurent pas les conséquences, comme par exemple la décapitalisation en élevage bovin.
TN : Cette valorisation doit-elle aussi passer par l'export ?Il y a un rôle des politiques à jouer car ça n’a pas de sens de continuer à cautionner l’export et d’avoir une production et une transformation qui diminuent sur le territoire. Il y a de la valeur à créer en France, avant même de parler export. Il y a beaucoup de choses à réexpliquer aux producteurs, aux citoyens. C’est un vrai combat, on a su commencer à le faire par rapport aux importations de soja avec glyphosate, on ne peut plus continuer à subir. Nous avons notre mot à dire dans notre façon de produire et pour que ce qu’on produit garde sa valeur jusqu’au bout.
On profite des paysans pour être la variable d’ajustement
D’une façon générale, tous les accords de libre-échange sont à combattre, on doit être davantage acteurs, car là encore on subit. Je me souviens d’un dossier, sur le site du ministère, concernant l’accord avec l’Océanie et expliquant que les importations d’ovins et autres en Europe allaient permettre de meilleurs échanges pour 24 sociétés du CAC 40 en France. Tout ça montre bien qu’on est pris pour des moins que rien et qu’on nous exploite, on profite des paysans pour être la variable d’ajustement.
TN : Comment comptez-vous rendre plus visible votre syndicat ?V.L.F. : Le but, c’est de grossir la base par des échanges, à travers la presse, par les retours suite aux entretiens avec les politiques, en faisant davantage passer les messages de la base. C’est ça le travail du terrain, un travail de consultation pour aller rechercher les informations et les remonter. Nous devons faire ce travail de navette pour établir des vraies propositions qui conviennent à tous, modulables en fonction des territoires, afin de se mettre en ordre de marche pour prochaines élections. Il faut que les agriculteurs du terrain soient libres de nous faire remontrer toutes leurs revendications.
Aujourd’hui, on est trop sollicités par les ministères, l’Europe, dans des délais courts sur des sujets précis, on n’a même plus le temps de faire partager ces revendications, mais comme il faut que l’information redescende, tant pis, les institutions attendront ! Le travail se fait aussi sur le terrain et pour ça, il faut que les idées soient davantage partagées.