« La prise en compte du travail en élevage (organisation, temps, conditions) par les producteurs bovins et leurs filières, lait et viande », voilà le principal résultat de 25 ans de R&D sur cette thématique. Et non des moindres car « au début des années 2000, on n'en parlait quasiment pas. » C'est le constat mis en avant par Sophie Chauvat de l'idele, coordinatrice du RMT (réseau mixte technologique) travail en élevage, aux dernières Rencontres recherches ruminants, les 7 et 8 décembre. Quels travaux ont permis ce changement dans les mentalités et le quotidien des éleveurs ?

eleveur et salarie agricole dans une stabulation Il y a 25 ans, on parlait peu du travail en élevage, surtout les éleveurs ! (©Adobe Stock)

« Aujourd'hui, le travail en élevage est devenu une préoccupation comme les performances techniques ou économiques, soulignait Sophie Chauvat de l'idele, coordinatrice du RMT (réseau mixte technologique) sur cette thématique, lors des 26e Rencontres Recherches Ruminants ou 3R.

De la productivité aux RH : l'approche a évolué

« De 1990 à 2000, le travail était abordé sous l'angle de la productivité, en lien avec la zootechnie et l'économie ; de 2000 à 2010, avec une vision plus sociale, comme l'une des conditions pour renouveler les générations d'éleveurs ; puis de 2010 à 2020, plutôt autour de l'emploi, du salariat et du management », détaille la spécialiste.

evolution de la perception du travail en elevageÉvolution de la perception du travail en élevage. (©RMT travail en élevage)

Il faut dire, qu'en 50 ans, le nombre d'exploitations a été divisé par 4 et la SAU moyenne multipliée par 3. Et si le phénomène a démarré dans les années 70, il s'accentue depuis 25 ans. Ce qui n'est pas sans conséquence sur le travail des agriculteurs. Les enjeux, déjà identifiés l'époque, étaient essentiels et le sont encore actuellement : « attractivité du métier d'éleveur, renouvellement des actifs, pérennisation de l'élevage, acceptabilité sociétale. »

Des références, outils, pistes de solution...

C'est pourquoi les chercheurs se sont intéressés à ces problématiques. Diverses études ont été conduites, permettant de constituer des références, de créer des outils de diagnostic et de conseil, de proposer des pistes de solution, à destination des conseillers, qui ont été sensibilisés et formés (certains sont même spécialisés désormais dans ce domaine), et des éleveurs qui ont bénéficié de réunions d'information, de formations, de journées portes ouvertes, d'appuis individuels, etc. De nombreuses initiatives sont également menées à l'échelle des régions. « Mais très peu dans les autres pays européens », fait remarquer Sophie Chauvat, à titre de comparaison.

Main-d'œuvre : moins familiale, plus salariée

Les 3R ont été l'occasion de faire un zoom sur plusieurs de ces travaux. Ceux du Centre d'études et de prospective du ministère de l'agriculture (CEP) et de l'idele tout d'abord, qui ont dressé un panorama de l'emploi et de la main d'œuvre en élevage. Objectif : cerner l'ampleur de la pénurie, ainsi que les filières et types de travailleurs concernés.

Mieux cerner l'ampleur et le type de pénurie.

Pour cela, ils ont comparé les informations issues des recensements agricoles de 2010 et 2020 (400 000 exploitations agricoles recensées), celles individuelles de la MSA pour les mêmes années (non-salariés et salariés, avec des indications sur les conditions d'emploi telles que les types de contrat, temps de travail...) et celles de la base de données nationale d'identification des bovins. Ceci en fonction de la production animale principale des exploitations. 

Principaux enseignements : « En élevage ruminant, la réduction de l'emploi est plus rapide que dans les autres secteurs agricoles, mais avec une meilleure stabilité des actifs et des situations très différentes selon les espèces élevées », relate Jean-Noël Deyperot du CEP.

  • Les producteurs sont moins âgés en moyenne que l'ensemble des éleveurs et des agriculteurs.
  • Les installations se maintiennent, mais ne suffisent pas à compenser les départs.
  • Les éleveurs sont plus formés, surtout en lait, et privilégient les formes sociétaires.
  • La main-d'œuvre devient moins familiale au profit du salariat, qui se développe.
  • Les salariés sont assez jeunes : à cause d'une faible rémunération et d'un statut parfois précaire, leur fidélisation n'est pas évidente. C'est plus une étape vers l'installation ou vers une reconversion professionnelle.
Difficultés à recruter et fidéliser : pourquoi ?

Pourquoi est-ce si difficile de recruter et fidéliser les salariés en élevage ? C'est ce qu'ont cherché à comprendre d'autres études comme le programme Interreg franco-belge Cowforme, mené en Hauts-de-France, Wallonie et Flandre, des régions où le chômage est assez présent. Le but : « connaître les freins des éleveurs à embaucher et des demandeurs d'emploi à être salariés en élevage », explique Chloé Fivet  du centre wallon de recherches agronomiques.

Des entretiens qualitatifs ont été réalisés auprès d'une vingtaine de producteurs autour de cinq thèmes : présentation de l'exploitation, vision du travail, réticences et motivations à l'embauche, place du salariat et profil idéal recherché, compétences à renforcer et besoins de formation pour employer de la main-d'œuvre. 

Complétés par des enquêtes quantitatives à destination de 250 agriculteurs (dont 109 éleveurs laitiers et 55 de bovins viande) pour évaluer « leurs ressentis, besoins et attentes en termes de conditions de travail et de recours au salariat ».

Parmi les conclusions, sur ce que

  • les éleveurs attendent des salariés : motivation (14 réponses/24), rigueur et respect (9/24), passion des animaux (8/24).  À noter : le savoir-être prime sur les compétences ;
  • leurs besoins en management : communication (15/24), fidélisation des salariés (7/24), capacité à déléguer ;
  • Leur réponse au manque de main-d'œuvre, en fonction du collectif de travail

solutions face au manque de main d oeuvre en elevage selon collectif de travail (©Cowforme)

En résumé : « La qualité de vie au travail des éleveurs bovins lait est un enjeu majeur pour la pérennité du secteur et le salariat, un levier essentiel pour y répondre avec de nombreux atouts mais aussi difficultés côté éleveurs (trouver la bonne personne, savoir recruter et manager...) et salariés (méconnaissance du métier notamment). D'où la nécessité de mettre en place une double action, à l'attention des éleveurs (accompagnement sur la qualité de vie au travail, aide au recrutement, formation au management) et des salariés potentiels (communication sur cette profession, accompagnement vers l'emploi via la découverte, l'information, la formation). 

Éleveur/salarié : renforcer l'attractivité

Autrement dit, il s'agit d'améliorer l'attractivité du salariat en élevage mais aussi du métier d'éleveur et de l'ensemble de la filière. « Le recrutement peut s'avérer compliqué également à l'amont et l'aval, en particulier pour les postes de transporteurs de lait et d'animaux, d'abatteurs, de  techniciens de pesée et d'insémination, conseillers, etc. », fait remarquer Elsa Delanoue de l'idele.

Le Gis Avenir Élevage s'est donc penché sur le sujet afin d'identifier les professions en tension (entretiens d'experts), savoir quels sont leurs facteurs d'attractivité et de non-attractivité (entretiens de professionnels), les aspirations et représentations des entrants potentiels (enquêtes auprès de jeunes au collège, lycée agricole et écoles supérieures d'agriculture/agronomie). Ceci afin d'effectuer un état des lieux pour rendre le secteur plus attractif, en apportant un regard prospectif. 

Les résultats qui en ressortent 

  • Des métiers de l'amont en phase avec les jeunes de l'enseignement agricole (contact avec les animaux et la nature, diversité tâches, utilité sociale, professions porteuses de sens).
  • Pas assez de revenu/temps libre (la qualité de vie, un critère primordial).
  • Différents scénarios pour l'avenir 

scenarios prospectifs metiers elevage (©Gis Avenir Élevage) Le plus plausible : « une voie intermédiaire, synthèse de ces trois projections, moins tranchée, basée sur une diversification des systèmes de production et des facteurs d'attractivité. »

Les points de vigilance : la pression sociétale et réglementaire, l'éthique animale, le revenu, la gestion RH. La question principale : comment améliorer image des métiers et équilibre revenu/conditions de travail.

Les pistes pour une meilleure attractivité

- Fidéliser les salariés : former les éleveurs à l'accueil et au management de leurs employés, à expliquer leur métier et leurs pratiques ; impliquer les salariés dans les décisions de l'entreprise.

- Favoriser les perspectives d'évolution : aider à développer les compétences, proposer d'évoluer professionnellement.

- Améliorer les conditions de travail

- Simplifier les démarches administratives

- Mieux faire connaître les métiers de l'élevage : communiquer positivement, promouvoir les formations agricoles.

- Renforcer les bonnes pratiques (bien-être animal, environnement) : mieux former sur les enjeux sociétaux pour défendre la filière.

- Accroître l'attractivité du territoire : organiser des groupes d'échanges entre exploitants.