Depuis une vingtaine d’années, la tendance à la spécialisation-expansion des grandes cultures et à la concentration de l’élevage dans certaines régions françaises est en recul. En parallèle, les facteurs de production s’avèrent plus fragiles qu’avant. Quelles sont les trajectoires qui pourraient se dessiner pour la géographie économique de l’agriculture française à horizon 2040 ?
Quelles sont les évolutions possibles des systèmes agricole et alimentaire français d'ici une quinzaine d'années ? (©Pixabay)
Dans une réflexion en trois volets – économie, environnement, logistique, le Centre d’études et de prospective du ministère de l’agriculture (CEP) étudie les mutations des systèmes agricole et alimentaire français. La première partie, publiée en décembre, est consacrée au volet économique et évoque plusieurs évolutions possibles au regard des tendances qui se dessinent depuis quelques années.
Depuis une vingtaine d’années, la tendance à la spécialisation des exploitations et des zones géographiques est en recul. La « céréalisation » (extension des zones céréalières et spécialisation des exploitations en grandes cultures), favorisée après-guerre par la libéralisation des échanges et la baisse du coût du transport, atteint ses limites, face à une concurrence internationale accrue. Pour les auteurs de l’étude, si l’on s’en tient aux facteurs économiques, deux tendances pourraient se dessiner dans les années à venir. Premièrement, le développement d’autres modèles économiques, basés notamment sur la diversification, rendant la spécialisation végétale moins vulnérable (grâce à une meilleure gestion du risque prix, des risques de rendement, des synergies agronomiques entre les cultures…). A l’échelle de la France métropolitaine, plusieurs cultures de diversification pourraient concerner des surfaces plus significatives dans les prochaines années, notamment les protéagineux (pois, féverole, lupin...) et les oléagineux (colza, tournesol...).
La deuxième option correspondrait à l’émergence d’une nouvelle vague de spécialisation technico-économique de l’agriculture, pour s’adapter à des prix durablement élevés des matières premières agricoles, des pertes de production induites par le changement climatique, et répondre à la hausse de la demande liée à la croissance démographique et des régimes alimentaires plus carnés dans les « pays en développement ».
En parallèle, les terres se dégradent, avec une augmentation de l’érosion, une diminution de la matière organique et une étanchéification des sols, qui pourraient entraver les capacités de production françaises et impacter des cultures variées, comme le soja, le tournesol, l’endive, la betterave d’industrie, la pomme de terre... « Dans les zones intermédiaires, cette dégradation des terres, qui diminue leur capacité à retenir l’eau lors des épisodes de stress hydrique, sera un facteur aggravant des impacts du changement climatique sur une agriculture déjà contrainte par la faible qualité des sols », expliquent les auteurs de la note. L’étalement urbain contribue également à cette fragilisation générale. En réaction, certains acteurs du secteur pourraient chercher à investir à l’international, dans des terres non dégradées.
Par ailleurs, l’externalisation de plus en plus grande du travail, le recours croissant à la sous-traitance et à la délégation intégrale des travaux augmente la dépendance de l’agriculture à la main d’œuvre et au salariat. En parallèle, certaines filières sont particulièrement dépendantes aux travailleurs étrangers, une dépendance qui risque de générer des tensions sur le système national de production alimentaire.
Enfin, depuis plusieurs années, la puissance exportatrice de la France perd de sa superbe et si la valeur des importations mondiales aura tendance à augmenter, « ceci pourrait ne pas se traduire par de nouvelles opportunités pour les produits français, car l’offre s’organisera probablement autour de grandes puissances agricoles exportatrices, telles l’Amérique latine pour les produits, d’élevage et d’alimentation animale, la Russie et l’Europe de l’Est pour les céréales, l’Océanie pour les produits laitiers, etc », indique la note.
Ainsi, deux trajectoires pourraient se dessiner à horizon 2035 : une augmentation continue des échanges internationaux, et le développement de nouvelles grandes puissances exportatrices, posant la question des produits français, de leur positionnement, et « de la capacité d’exercer un "commerce de mouvement" adapté aux évolutions de la demande, avec toutes les contraintes que cela supposerait du point de vue de la construction d’un maillage d’industries de la transformation agroalimentaire ». Dans un deuxième cas, l’évolution pourrait prendre la forme de guerres commerciales, avec la généralisation de barrières douanières non tarifaires. « Le recentrage de l’offre sur la demande française ou européenne mettrait alors en tension un objectif d’accès à "l’alimentation pour tous" et un objectif de "rémunération juste" des producteurs », estiment ainsi les auteurs de la note.