Les achats d’engrais minéraux sont en retard par rapport à une année classique, indiquent les industriels de la fertilisation, qui ne s’attendent pas à une baisse significative des prix et préconisent l’étalement des achats. Dans un contexte inédit de flambée des prix du gaz, les livraisons d’engrais chez les agriculteurs français ont diminué de 5 % en un an sur la dernière campagne (article mis à jour le 09/11, initialement paru le 08/11 à 18h34).
Les livraisons d'engrais en 2021/22 ont baissé de 5 % par rapport à 2020/21. La chute des apports en éléments phosphore et potassium dépasse 20 % (©AdobeStock)
En septembre 2022, l'approvisionnement en engrais des agriculteurs métropolitains était en baisse de 20 % par rapport à celui d’une campagne classique, explique Florence Nys, déléguée générale de l’Unifa. L’organisation, qui rassemble 36 producteurs de fertilisants et amendements minéraux, organo-minéraux, organiques et biostimulants, a tenu un point presse à Paris le 8 novembre.
La demande avait déjà fléchi sur la campagne 2021/22 : « 10,8 millions de tonnes d'engrais (minéraux et organiques) ont été livrés, soit en recul de 5 % par rapport à la campagne précédente », décrit Florence Nys, soulignant un fléchissement des livraisons pour la troisième année consécutive en France.
En 2021/22, 8,14 Mt d'engrais minéraux et organo-minéraux ont été livrés (- 7 % par rapport à 2020/21) et 2,641 Mt d'amendements minéraux basiques (©Unifa)
De fait, « il y a eu le Covid en 2020, suivi en 2021 d’une période d’instabilité puis à partir de septembre d’une reprise post-Covid qui a tiré à la hausse les prix des matières premières. Et en février, la guerre est arrivée… ».
La flambée des cours du gaz naturel, qui représente 90 % de leurs coûts de fabrication, a provoqué une explosion des prix des engrais azotés. « Et le phosphore et la potasse font toujours les frais de l’inflation : les gens priorisent », analyse Éric Giovale, président de la section Fertilisants organo-minéraux et organiques à l’Unifa.
En 2021/22, les apports en azote ont reculé de 7,7 % par rapport à 2020/21 quand ceux de phosphore et de potassium ont chuté de respectivement 23,2 % et 23,7 %. « Ça devient critique !, alerte Florence Nys. Ces impasses finiront par avoir un impact. Les éléments nutritifs fonctionnent en synergie, et des carences peuvent vite arriver ».
La livraison d'engrais en France est marquée sur ces trois dernières campagnes par une baisse de la fourniture en azote, phosphore et potassium. (©Unifa)
Cette baisse des livraisons illustre aussi une tendance de fond : les ventes d'engrais diminuent régulièrement depuis 2013, année où elles avaient culminé à 18,1 millions de tonnes. « En 30 ans, on a réduit de 45 % la consommation d'engrais minéraux », rappelle l'Unifa.
Alors qu'en Europe, plusieurs usines ont ralenti voire momentanément stoppé leur production face aux coûts de fabrication trop élevés, en France « nous produisons en continu : il n'y a aujourd'hui pas de problème d'approvisionnement et il n’y aura pas de rupture au printemps », souligne Delphine Guey, la présidente de l'Unifa.
Pour contrer le risque de pénurie, le secteur s’est tourné vers d’autres sources d’approvisionnement que la Russie, premier exportateur avant le conflit. « La France profite de sa position très bénéfique, ouverte sur les ports, pour importer facilement de l’ammoniac », note Florence Nys.
La situation géopolitique pousse aussi les industries de la fertilisation à accélérer leur transition vers des alternatives au gaz naturel (russe) pour la production de certains fertilisants. Les premiers engrais décarbonés seront d’ailleurs commercialisés en Europe en 2023.
« Pour assurer notre autonomie, la transition doit être rapide, portée par aussi par les outils d’aide à la décision, les biostimulants, l’agriculture régénératrice, etc., exhorte-t-elle. Et si besoin par une réindustrialisation, avec une production et une distribution locales des engrais ».
En cet automne 2022, nombre d'agriculteurs hésitent encore à acheter leurs engrais, les prix demeurant à des niveaux historiquement hauts, malgré une détente générale au mois d'octobre. Ceci, dans un contexte où les autres postes de charges restent aussi très coûteux (carburants, alimentation animale…).
« On espère que le prix des engrais vont retrouver des niveaux acceptables », mais « au vu de la situation géopolitique, ils ne vont certainement pas beaucoup redescendre », prévient Delphine Guey. Et si tous les exploitants attendent la dernière minute pour acheter, il y aura un risque d'engorgement au niveau des livraisons.
L'Unifa recommande d'étaler ses achats pour éviter les problèmes logistiques, rappelant que la capacité de stockage des engrais dans les usines est limitée (à un mois et demi de production maximum). « L’anticipation reste le maître mot ! », conclut Éric Giovale.
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