De nombreux agriculteurs se posent la question d’arrêter le labour, mais ce dernier joue un rôle important dans la gestion des adventices en agriculture biologique... Le programme Reine Mathilde s’est emparé de ce sujet et livre les résultats de son essai système mis en place dans le Calvados, pour les trois premières années (2019-2021).
Bio et non-labour, est-ce possible ? Qu'en pensez-vous ? N'hésitez pas à partager votre avis dans les commentaires ci-dessous. (©Terre-net Média)
Après 10 années de travaux sur l’autonomie alimentaire des systèmes des bovins en AB, le programme Reine Mathilde change de cap en 2019 pour « s’intéresser de plus près au sol, et plus particulièrement aux effets du non-labour comparé au labour en agriculture biologique ». Objectifs : « trouver des systèmes de cultures moins bouleversants pour le sol et sa vie biologique, tout en stockant du carbone ».
Avant de livrer les enseignements tirés de ces trois premières années d'essai (2019-2021), revenons d’abord sur le protocole mis en place. Les équipes suivent deux rotations différentes : « une "type élevage" avec des cultures fourragères et grains autoconsommés, et une autre "type cultures", qui comprend des céréales de vente. Chaque rotation est soumise à deux stratégies de travail du sol : labour et sans labour ». Le but : pouvoir les comparer sur une diversité de cultures et en mesurer les effets sur le salissement, la structure du sol, la biodiversité dans le sol, mais aussi le bilan du carbone, la consommation de carburant, etc. « Pendant trois ans, la nouvelle rotation démarre suite à une destruction de prairie, et les cultures s’enchainent dans l’ordre des rotations choisies. »
Les deux rotations de l'essai démarré en 2019. (©Programme Reine Mathilde)
Parmi les différents enseignements de cet essai système, les équipes du programme ont confirmé « une meilleure stabilité structurale du sol en techniques sans labour » : « à la surface du sol, on observe moins de battance, plus de mottes et plus de macropores ». La biomasse microbienne est aussi plus développée. Résultat par contre inattendu : la présence de vers de terre est plus importante en zone labourée. Comme piste d'explication, les équipes soupçonnent le nombre important de passages d'outils de travail du sol pour détruire la prairie temporaire dans la zone non labourée.
Concernant les reliquats d'azote sortie hiver, ils sont plus forts, dans 5 situations sur 7, en techniques sans labour qu'en labour. Le programme soulève plusieurs hypothèses : « une plus grande activité biologique hivernale ? Moins de lessivage ? Une plus faible absorption d'azote par la culture d'automne en techniques sans labour ? »
Autre enseignement de l'essai : « la gestion des adventices est plus difficile et croît dans la durée. Leur présence est systématiquement plus importante en sans labour : de + 15 à 20 % dans les associations étouffantes à 2 à 4 fois plus dans certains maïs ou blés... Outre les vivaces (chardons, cirses, rumex, laiterons), on observe des repousses de graminées prairiales, des matricaires et des chénopodes dans le maïs, précisent les équipes. ».
À noter : l'impact des adventices sur le rendement est variable. Parfois, il est marqué comme en 2020, concomitamment à une implantation compliquée, mais faible voire nul en 2019 et 2021. Il semble que le sans labour rime avec plus d'activité biologique, donc plus d'adventices, et des cultures certes moins denses, mais plus vigoureuses et qui compensent sans doute. »
« Les cultures plus étouffantes sont aussi un moyen d'atténuer les adventices : le mélange triticale + féverole, sans surprise, couvre plus que orge + pois ou blé pur. Concernant le désherbage mécanique, il est difficile de réaliser un passage sur céréales au bon stade en hiver. Quand les conditions le permettent (mars 2021), un voire deux passages agressifs améliorent l'efficacité du désherbage et affectent peu le rendement du blé malgré son recouvrement temporaire par les passages d'outils. »
À partir de ces différents résultats et analyses (voir le tableau ci-dessous), le programme Reine Mathilde propose une première liste de préconisations pour faire du sans labour en agriculture bio :
- « Mettre en œuvre les moyens pour réussir la destruction de la prairie : en été avec des conditions séchantes, avec un outil rotatif qui travaille superficiellement, laisser quelques jours de dessèchement avant d’implanter une culture intermédiaire. » ;
- « Décaler les dates de semis et la réalisation des travaux du sol quand le sol n’est pas assez ressuyé, voire changer la culture prévue. C'est l'état du sol et le salissement qui vont guider les décisions. » ;
- Pour gérer le salissement :
- « Limiter la présence des résidus de culture pour pouvoir désherber mécaniquement »- « Dans une ferme d’élevage, en cas de salissement prononcé, on peut par exemple ensiler une culture prévue pour une récolte en grain, ou bien introduire un méteil couvrant à récolter tôt » ;- « En cas de vivaces, je couvre a minima pour travailler en surface avant et après ce couvert » ;- « Être plus attentif sur l’état de salissement de la culture en végétation (pour désherber) » ;- « Dans le pire des cas : retourner une culture mal partie pour limiter le développement des adventices par la suite » ;- « Bien respecter les fondamentaux de la rotation (deux maïs de suite ont favorisé l’amplification du salissement avec des adventices estivales) » ;- « Garder la charrue dans la boîte à outils si nécessaire, surtout pour rattraper un salissement en dérive. Ne pas être manichéen : multiplier le nombre de passages d’outils ou labourer : quel est le pire ? ».