« Mieux comprendre la valeur d'une exploitation agricole et son calcul » : tel est l'objectif du projet de recherche Farm-Value, piloté par l'Inrae. Parmi les principaux résultats : la valeur économique et patrimoniale d'un élevage laitier atteint, en moyenne, 1,5 année de produits hors foncier. Et en viande bovine, rapportée au chiffre d’affaires ou à la SAU, la valeur économique est souvent inférieure à la valeur patrimoniale. Quant au patrimoine brut moyen des éleveurs actifs de plus de 50 ans, il excède 800 000 €, d'où un actif total brut réduit à la moitié de cette somme.
« La valeur d’une exploitation n’est pas une information immédiatement disponible, donnée par exemple par son prix de marché », insiste l'étude. (©Adobe Stock)
Mené entre 2017 et 2021 par plusieurs économistes et sociologues(1) et financé par l’Agence nationale de la recherche (ANR), le projet de recherche Farm-Value "Valeur et transmission de l’exploitation agricole : regards croisés de l'économie et de la sociologie" vise aussi à « mieux prendre en compte la diversité des composantes de la valeur d'une ferme, pour mieux la relier au processus de cession ».
« La valeur d’une exploitation n’est pas une information immédiatement disponible et donnée, par exemple, par son prix de marché. Elle doit être construite, et plusieurs approches sont possibles, produisant des résultats parfois très différents. De plus, elle intègre non seulement des aspects économiques, mais également d’autres éléments, plus psychologiques notamment. C’est donc un enjeu essentiel que de comprendre les différentes modalités d’appréciation en particulier lorsqu’elles interviennent au moment de la transmission d'une ferme », rappellent les chercheurs en préambule de la présentation des résultats.
Deux démarches ont été conduites :
- économique, avec des analyses statistiques à partir de bases de données structurelles et comptables existantes (du Réseau d’information comptable agricole-RICA ou de la Mutualité sociale agricole-MSA) et une enquête quantitative spécifique sur la transmission auprès d’environ 200 agriculteurs (87% de repreneurs et 13% de cédants) ;
- sociologique, avec une centaine d’entretiens qualitatifs auprès de repreneurs, cédants et prescripteurs, complétés par des résultats de monographies sur le sujet.
À savoir : ce travail concerne principalement les élevages bovins lait et viande dans trois départements (Puy-de-Dôme, Doubs et Ille-et-Vilaine).
Principal enseignement : « la valeur d'une exploitation diffère fortement selon la production agricole principale, la méthode d’évaluation utilisée, l’existence ou non et la nature des liens entre cédants et repreneurs, l’importance du foncier et de la maison d’habitation, et les acteurs qui accompagnent les agriculteurs (conseillers agricoles, experts comptables, fonciers et agricoles, notaires, etc.). »
Deux modes majeurs d'évaluation sont ressortis de cette étude, déjà souvent considérés comme tels auparavant : l'un aboutissant à la valeur économique, l'autre à la valeur patrimoniale. Tous deux sont basés sur les flux de trésorerie − le premier sur une durée fixée toutefois −, et le patrimoine des exploitations. La différence, que vous connaissez sans doute aussi : la première valeur détermine l’investissement à réaliser pour la reprise et la seconde s'appuie sur la somme de la valeur des différents actifs. Ce que montre Farm-Value et qui est peut-être moins souvent évoqué : « rapportées au chiffre d’affaires ou à la SAU, la valeur économique est généralement supérieure à la valeur patrimoniale » dans la plupart des filières, sauf en production de viande bovine, où c'est l'inverse.
D'autres techniques d’estimation ont par ailleurs été testées, comme les multiples de résultats (valeur de l’exploitation divisée par une grandeur du compte de résultat, par exemple l’excédent brut d’exploitation ou EBE). Et selon celle-ci, la valeur économique comme patrimoniale d'un élevage laitier est égale en moyenne, hors foncier, à 1,5 année de produits.
Quant au patrimoine des agriculteurs actifs de plus de 50 ans, son niveau brut moyen dépasse 800 000 € en raison d’investissements conséquents dans des actifs professionnels. « Mais contrairement aux autres professions indépendantes (artisans, commerçants), les agriculteurs transmettent une part plus grande de leur patrimoine professionnel au moment de leur retraite », nuancent les chercheurs. La conséquence : une très forte baisse de leur actif total brut (proche en moyenne de 400 000 € pour les retraités), liée « au désendettement, aux donations et, sans doute, au mode de valorisation des actifs professionnels agricoles ».
D'où un actif total brut en forte baisse : 400 000 € en moyenne.
À noter : « le rôle particulier du patrimoine foncier au moment de la transmission, de plus en plus considéré comme une réserve de valeur, un moyen de conserver un lien affectif avec son territoire, ou encore un levier pour garder une petite activité agricole. » En outre, la valeur de la maison d’habitation, souvent importante notamment dans la tête du cédant, doit être prise en compte puisqu'elle augmente de façon notable celle du bien professionnel cédé.
La maison d'habitation augmente de façon notable la valeur de la ferme.
La réflexion s'est également intéressée à la valeur de reprise des exploitations, déterminante pour l’accès au métier d'éleveur. D'après les dossiers de demande de DJA (dotation jeune agriculteur) étudiés de 2007 à 2017, cette valeur est d’environ 80 000 €, mais près de 200 000 € sont investis dans les quatre années suivant l'installation. « Elle dépend cependant de la taille, du statut juridique et du type de production, ainsi que du genre et du niveau d’éducation des cédants et repreneurs. »
Mais 200 000 € investis dans les 4 ans suivant l'installation.
Dans les échanges avec les prescripteurs enfin, la famille apparaît comme « une contrainte dans le processus de transmission », qui complique la composition du patrimoine et fait monter la valeur de la ferme. Cette étape clé de la vie de l'exploitation génère des problématiques juridiques et fiscales « qui engagent l'exploitant et ses cohéritiers, et auxquelles les familles ne sont pas toujours préparées ». D'où l'importance de se faire accompagner, sachant que la création de sociétés est généralement encouragée pour « faciliter la transmission aux enfants tout en sécurisant la fonctionnalité du patrimoine professionnel pour le repreneur ».
Parmi les points intéressants à mentionner : plus le repreneur semble apte à pérenniser la ferme selon le cédant, plus ce dernier cherche des moyens pour réduire le prix de la reprise, que ce soit dans le cadre familial ou non. De plus, la progression du nombre de repreneurs extérieurs à la famille fait naître de nouvelles organisations du travail en agriculture où le repreneur est salarié du cédant en attendant de pouvoir s'installer, mais aussi inversement, où « le cédant est momentanément salarié du repreneur pour céder avant l’âge de la retraite tout en continuant de travailler ».
Le tuilage cédant/repreneur limite la baisse de performance au départ.
Dans un cas comme dans l'autre, le cédant peut transmettre ses connaissances et son expérience au repreneur. « Des interactions sociales qui jouent, elles aussi, un rôle primordial dans l’estimation de la valeur de reprise des exploitations », d'autant que « cette collaboration permet une meilleure prise en main de la ferme à reprendre, limitant la baisse de performance observée en général les 3 à 5 premières années d'installation ».
(1) Inrae Bordeaux, Rennes, Paris / VetAgro Sup Clermont-Ferrand / Université Grenoble Alpes / Université Bourgogne-Franche-Comté / Université de Paris Cité / Ensat